François Garde, qui a obtenu en 2012 le Goncourt du premier roman pour Ce qu'il advint du sauvage blanc, livre avec Pour trois couronnes un excellent roman d'aventure français. Le narrateur est curateur aux documents privés, c'est-à-dire qu'il se charge de classer les archives des défunts pour le compte des familles. Il s'ennuie un peu dans sa routine lorsqu'une riche veuve lui confie une nouvelle affaire. Il découvre dans les papiers un texte étrange écrit par le défunt, qui relate sa relation avec une femme inconnue. La veuve le charge d'éclaircir le mystère, au risque de découvrir l'existence d'un éventuel enfant.

La recherche se déroule sur un arrière-plan politique inattendu à l'autre bout du monde, et fait écho à l'histoire personnelle du narrateur, dont le père, libanais, était lui aussi engagé politiquement. L'entrée dans l'histoire par le texte du défunt, qui pourrait être en lui-même une courte nouvelle, constitue un point de départ extraordinaire, très fort. Les lecteurs apprécient vivement l'originalité du sujet, ainsi que l'écriture, même si l'enquête est jugée un peu artificielle, un peu facile : le narrateur trouve toujours la solution tout de suite.

La description des troubles donne beaucoup de force au récit car elle rappelle beaucoup d'autres conflits et leurs immuables cortèges de déchirures, de partenaires irréconciliables, de gens fracassés, de légitimés revendiquées de part et d'autre, sans parler de la rhétorique des meneurs … Le terme même de troubles, souvent repris, est en soi évocateur, de même que le nom de Bourg Tapage. L'analyse du conflit est très bien faite et dresse de beaux portraits, très justes, comme celui de la femme syndicaliste, ou un peu étranges comme celui du professeur d'histoire. Même si on ne sait très bien ce qui s'est passé, on pense tout de suite à la Nouvelle Calédonie.

La situation politique réveille l'histoire personnelle du narrateur, car les troubles au Liban y ont laissé aussi leurs traces. Il est peu à peu amené à se questionner sur ses origines. Tout en recherchant un héritier il devient lui-même un héritier à la recherche de son père, plus exactement de ses engagements et des raisons de sa disparition. On a ainsi deux histoires dans le même roman, avec dans les deux cas quelque chose à renouer dans la relation père-fils. Et d'autres histoires encore, celle d'une société où l'origine (être insulaire ou pas) se transmet par la mère, et où l'on remédie à la stérilité de diverses façons – la scène chez le médecin qui confirme l'événement est assez extraordinaire. Enfin, les trois couronnes forment pour l'enquête un fil conducteur des plus intéressants.

Certes l'auteur prend parfois son temps pour raconter, il n'était peut-être pas indispensable qu'il s'attarde sur ses marches ou sur son expédition à cheval à la maison du défunt.

Il n'en reste pas moins que le livre est très agréable à lire, et que la fin est surprenante – mais bien sûr, il n'est pas question de la dévoiler.